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Le nouveau président de la Banque africaine de développement élu à un moment charnière pour le financement du développement

2 juin 2025

Analyse

L’ancien ministre mauritanien de l’Économie, Sidi Ould Tah, a été élu le 29 mai en tant que neuvième président de la Banque africaine de développement avec une large majorité, battant quatre autres candidats après plusieurs mois de campagne. Figure respectée dans le domaine du financement du développement et fort d’un mandat de dix ans à la tête de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), le mandat de cinq ans de Tah débutera le 1er septembre, à la suite d’une décennie de présidence assurée par Akinwumi Adesina.

About

Jacques Emmanuel Attoumbre est analyste chez Concerto, à Paris. Il accompagne les stratégies digitales de nos clients et contribue à la production d’analyses sur les enjeux politiques et économiques du continent africain. QUICK INSIGHTS
  • Le nouveau président a obtenu une majorité écrasante lors du vote, signe d’un large soutien aussi bien parmi les membres régionaux que non régionaux – un capital politique précieux pour lancer rapidement sa feuille de route.
  • Dans un contexte de baisse du soutien budgétaire des donateurs, Tah entend mobiliser des financements auprès des institutions continentales et des pays du Golfe.
  • Si les priorités « High 5 » de la précédente direction continueront de guider les décisions, l’agenda de Tah visera à repositionner la banque : passer d’un rôle d’aide au développement à celui de catalyseur d’investissements.

Une candidature portée par un large soutien, notamment du monde arabe

Bien qu’il ait été le dernier à présenter sa candidature, il a bénéficié du soutien d’une coalition de pays africains et arabes, notamment l’Arabie saoudite, qui a fait pression auprès des membres de la Ligue arabe. Trois dynamiques clefs ont joué en sa faveur. Premièrement, les actionnaires africains de la banque n’ont pas voté selon des lignes régionales, rompant ainsi avec les habitudes des précédentes élections. Deuxièmement, sa position unique, sa maîtrise de trois des cinq langues officielles de l’Union africaine et son attrait transversal ont été déterminants. Enfin, son solide bilan à la BADEA — où il a plus que triplé le capital de l’institution durant sa présidence et obtenu la deuxième meilleure notation de crédit, juste en dessous du très convoité triple A — a également pesé en sa faveur. Cette transition à la tête de l’institution intervient à un moment charnière pour le financement du développement, alors que les donateurs réduisent leurs contributions bilatérales et multilatérales malgré des besoins croissants. La Banque africaine de développement n’échappe pas à cette dynamique. Le Fonds africain de développement – son guichet concessionnel destiné aux pays à faible revenu – avait mobilisé 2,4 milliards de dollars pour son cycle 2023-2025, un montant qui devrait chuter à 1,5 milliard pour 2026-2028, soit une baisse de 37,5 %. Les cinq principaux donateurs du fonds ont tous annoncé une réduction significative de leurs contributions, reflétant de nouvelles priorités politiques, un contexte économique national difficile et des efforts de consolidation budgétaire, notamment en Europe. Dans ce contexte, Tah devra faire face à une raréfaction des ressources et à un paysage géopolitique en mutation.  

Un parcours solide dans le financement du développement

Ses dix années à la présidence de la BADEA lui confèrent une légitimité certaine pour mobiliser davantage de capitaux en provenance du monde arabe, où il dispose de liens solides. Ses priorités incluent notamment la mobilisation des quelque 2 000 milliards de dollars détenus par les fonds de pension africains en faveur de projets d’infrastructure à long terme, ainsi que le renforcement des synergies avec des institutions clefs telles qu’Afreximbank et l’Africa Finance Corporation. Cet agenda vise à réduire la dépendance de la banque aux financements extérieurs et sa vulnérabilité aux chocs géopolitiques, tout en renforçant sa résilience institutionnelle. Bien que l’objectif de Tah de faire évoluer la banque d’un rôle d’acteur de l’aide au développement vers celui de catalyseur d’investissements et de multiplier l’impact de chaque dollar investi représente une nouvelle ambition, son programme devrait s’inscrire dans une certaine continuité avec les priorités de son prédécesseur, les « High 5s », qui constituent l’ossature de la stratégie 2024-2033 de la banque. Lancé en 2015, le mandat du président sortant Adesina s’est concentré sur l’électricité, l’agriculture, l’industrialisation, l’intégration régionale et l’amélioration des conditions de vie des 1,5 milliard d’habitants du continent. L’approche de Tah se distinguera de celle de son prédécesseur en mettant l’accent sur la mobilisation de capitaux, la réforme de l’architecture financière africaine, la valorisation du dividende démographique et une industrialisation fondée sur les ressources naturelles. Il devrait réorienter la feuille de route stratégique décennale de la banque pour refléter cette vision. La transition à la tête de la Banque africaine de développement pourrait marquer un tournant pour le continent. L’agenda ambitieux de Tah nécessitera des réformes structurelles majeures, une forte volonté politique et une mise en œuvre agile. Bien qu’il bénéficie d’un soutien manifeste — il a été élu avec plus des trois quarts des voix au troisième tour —, traduire cette dynamique en changements concrets sera un défi de taille. Il est encore trop tôt pour savoir s’il pourra réitérer les succès de son mandat à la tête de la BADEA. Le véritable test de son mandat sera sans doute sa capacité à sécuriser des milliards de dollars en provenance du Golfe pour soutenir le développement de l’Afrique.