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Julius Maada Bio élu à la tête de la CEDEAO dans un contexte marqué par des tensions régionales

27 juin 2025

Analyse

Julius Maada Bio prend les rênes de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) dans un contexte de fortes turbulences politiques et sécuritaires. Élu à la surprise générale lors de la 67ᵉ session à Abuja, le président sierra-léonais succède au chef d’état nigérian Bola Tinubu, rompant l’alternance tacite entre pays francophones, anglophones et lusophones. Face à la rupture entre la CEDEAO et les membres de Alliance des États du Sahel – le Mali, le Burkina Faso et le Niger – le président Maada Bio entend restaurer la légitimité de la CEDEAO autour de quatre priorités : sécurité, démocratie, intégration économique et crédibilité institutionnelle.

About

Jacques Emmanuel Attoumbre est analyste chez Concerto, à Paris. Il accompagne les stratégies digitales de nos clients et contribue à la production d’analyses sur les enjeux politiques et économiques du continent africain. QUICK INSIGHTS
  • Une désignation surprise à la tête de la CEDEAO
  • Un sommet organisé dans un contexte assez difficile en Afrique de l’Ouest
  • Les quatre priorités du nouveau président pour rétablir l’ordre constitutionnel et l’intégration économique dans la sous région

Une désignation surprise à la tête de la CEDEAO qui bouscule les codes

Le dimanche 22 juin 2025, les chefs d’État des pays membres de la CEDEAO se sont réunis à Abuja, au Nigéria, pour la 67ᵉ session ordinaire de l’organisation. À la surprise générale, le président sierra-léonais Julius Maada Bio a été désigné président en exercice de l’institution, succédant au nigérian Bola Ahmed Tinubu. Il devient ainsi le 37ᵉ président de la CEDEAO. Alors que la présidence tournante de la CEDEAO repose traditionnellement sur une alternance tacite entre pays francophones, anglophones et lusophones, cette dynamique a été bousculée cette année. Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger a modifié les équilibres internes de l’organisation, privant de ce fait le bloc francophone de trois voix lors de l’élection. Dans ce contexte, le choix de Julius Maada Bio, préféré au président sénégalais Bassirou Diomaye Faye dont la candidature semblait faire l’unanimité, marque une rupture dans l’équilibre de l’organisation régionale. Cet échec s’ajoute à la récente défaite du sénégalais Amadou Hott à la présidence de la Banque Africaine de Développement  

Un sommet organisé dans un contexte tendu en Afrique de l’Ouest

L’élection de Maada Bio intervient dans un contexte régional particulièrement instable. « L’Afrique de l’Ouest est confrontée à de graves défis, certains de longue date, d’autres nouveaux et évolutifs », a-t-il déclaré à l’issue de son élection. Il a évoqué un éventail de menaces croissantes : insécurité au Sahel, terrorisme, instabilité politique et criminalité transnationale. Le Nigéria, qui abrite le siège de l’organisation, illustre bien ces tensions avec une recrudescence d’attaques terroristes dans le nord du pays. Sur le plan géopolitique, la CEDEAO fait également face à une crise structurelle liée au retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso le 29 janvier 2025, désormais unis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). La sortie de ces trois pays devrait être finalisée fin juillet, à l’issue d’une période de transition de six mois. En anticipation, les chefs d’État ouest-africains ont désigné un négociateur chargé de superviser le processus de retrait, tout en réaffirmant leur volonté de maintenir le dialogue. La mission de facilitation politique confiée au Sénégal et au Togo se poursuit dans ce cadre tendu. Contrairement à d’autres membres, ces deux pays n’ont jamais rompu les liens diplomatiques avec les états de l’AES. En témoignent les visites récentes du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko au Mali et au Burkina Faso, et les liens privilégies qu’entretient le chef d’état togolais Faure Gnassingbé avec les trois juntes du Sahel. Cette initiative, bien qu’elle ne constitue pas une médiation formelle, reste un canal diplomatique actif destiné à maintenir un dialogue stratégique, à un moment où les relations institutionnelles sont gelées.  

Les quatre priorités du nouveau président pour rétablir l’ordre constitutionnel et l’intégration économique dans la sous région

Dès sa désignation, Maada Bio a affiché une feuille de route structurée autour de quatre priorités stratégiques : rétablir l’ordre constitutionnel dans les pays en transition, renforcer la coopération sécuritaire régionale, accélérer l’intégration économique, et restaurer la crédibilité de la CEDEAO auprès des citoyens. Le président de l’institution régionale a appelé à « redéfinir le rôle de la CEDEAO » afin qu’elle cesse d’être perçue comme une entité distante, technocratique et partisane. Il souhaite en faire un véritable levier d’inclusion, de paix et de création d’opportunités, en phase avec les aspirations des populations ouest-africaines. Cette approche pourrait marquer un tournant symbolique dans la gouvernance régionale, à un moment où l’organisation cherche à restaurer son image et son efficacité après plusieurs années de tensions politiques et institutionnelles. Bien que Maada Bio porte un programme ambitieux, il fait face à de nombreuses contraintes. Son mandat d’un an réduit ses marges de manœuvre pour initier des réformes structurelles. De plus, les défis persistants tels que la fragilité institutionnelle, les déficits de financement et le manque de coordination opérationnelle risquent de freiner l'exécution de ses priorités.