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Départ de l'AES - Le compte à rebours d'un an pour sauver la CEDEAO de la déchéance

8 février 2024

Analyse

Le 28 janvier, la crise entre les membres de l'Alliance des États du Sahel (AES) et la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a atteint son paroxysme après plus d'un an de tensions accrues, avec l'annonce du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO. Quel sera l'impact de ce retrait sur la CEDEAO ? Quelles sont les perspectives de développement de l'alliance tripartite ?

À propos

Carine Gazier est consultante chez Concerto, elle est spécialisée sur les questions politico-économiques et le secteur de l'énergie en Afrique. Contactez Carine sur son adresse mail cg@concerto-pr.com, afin d’obtenir plus d’informations sur le sujet, ou pour mieux comprendre comment Concerto peut vous accompagner.
QUICK INSIGHTS
  • La crédibilité de la CEDEAO est une nouvelle fois remise en cause, malgré ses efforts pour démontrer sa pertinence et asseoir sa légitimité.
  • L’AES devrait poursuivre sa dynamique, entamée fin 2023, d’intégration politique et économique au-delà de son mandat sécuritaire initial.
  • La sortie de l’UEMOA et la création d’une nouvelle monnaie sont au cœur des spéculations, même si cette dernière n'a pas été officialisée par les autorités.

Le retrait de la CEDEAO, dernière étape de la rupture

Le schisme au sein de la CEDEAO est apparu avec la succession de coups d'État (Guinée, Burkina Faso, Mali, Niger) qui a touché la région au cours des trois dernières années. Depuis, les pays concernés, en particulier le trio sahélien, sont en confrontation avec l'organisation sur la question du retour à l'ordre constitutionnel. Les États ont également pris leurs distances avec leurs partenaires historiques, rejetant la France et poussant à la fin de son opération militaire anti-jihadiste. En décembre 2023, le Burkina Faso et le Niger ont quitté le G5 Sahel, emboîtant le pas au Mali et rendant l'alliance obsolète. La décision de retrait de la CEDEAO est une conséquence directe de la menace d'intervention militaire brandie par l’organisation régionale en août dernier. En quittant la CEDEAO, les juntes abandonnent également un cadre institutionnel et des normes de gouvernance démocratique, ce qui laisse présager un report du retour à des régimes civils.  

Un an pour convaincre l'AES de ne pas se retirer de la CEDEAO

Échec retentissant pour la CEDEAO, l’annonce de ce retrait laisse l'alliance déjà chancelante à bout de souffle. C'est la première fois depuis sa création en 1975 qu’elle est confrontée à une telle situation, un coup dur pour la stabilité et l’intégration régionale. Les pressions exercées sur les juntes par le biais de sanctions sont restées sans réponse, et n’auront pas eu les effets escomptés.  Cette situation inédite remet en question la capacité du bloc régional à garantir la stabilité et le dialogue politique dans la région. En outre, la question de la neutralité de l'organisation a également été soulevée, avec des accusations d'être souvent discrète lors de l'introduction de mandats présidentiels anticonstitutionnels, mais très virulente à l'encontre des régimes putschistes. Outre l'aspect purement politique, le retrait de l'AES met également en péril des décennies d'intégration économique, ce qui soulève la question des conséquences subséquentes, notamment l'interruption des échanges commerciaux, la perturbation des chaînes d'approvisionnement et l'augmentation des droits de douane. Bien que la CEDEAO dispose d'une année pour faire changer d'avis les juntes, délai prévu dans les règles de l'organisation, les négociations s’annoncent tendues. Pour l'AES, elles seraient un succès si l'alliance parvenait à conserver ses avantages économiques et commerciaux, tout en se libérant des dogmes politiques de la CEDEAO.  

Status-quo, retrait de l'UEMOA, influence marocaine : Quelles perspectives pour l’Alliance des États du Sahel?

Créée en septembre 2023, l'AES repose sur une charte de protection mutuelle et est initialement vouée à la lutte contre le terrorisme. Si l'alliance a une vocation sécuritaire, le départ de la CEDEAO pourrait susciter l’accélération d’une approche d'intégration tous azimuts. Les réunions ministérielles tripartites de novembre 2023 ont en tout cas préfiguré une ambition de développer une dimension politique et économique, signe avant-coureur du retrait de la CEDEAO. Si celui-ci venait à se confirmer au cours de l'année à venir, à quelles options ces trois pays pourraient-ils recourir pour assurer leur approvisionnement ? Tant que les membres de l'AES ne se retirent pas également de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ils continueront à bénéficier des échanges économiques et de la libre circulation des capitaux et des personnes. En revanche, le Niger sera affecté s'il ne trouve pas une solution pour établir une bonne relation commerciale avec son voisin nigérian, dont son économie est fortement dépendante. Si l’éventualité d'un départ de l'UEMOA a également été au centre de spéculations au cours des derniers jours, aucune annonce officielle n'a encore été faite. Les conséquences d'un tel retrait pour les trois pays concernés seraient encore plus dévastatrices pour leurs propres économies. À plus long terme, l'AES pourrait se tourner vers le Maroc, via l'Initiative Atlantique pour le Sahel récemment lancée par le Royaume. Dans tous les cas, les juntes au pouvoir devront réussir à maintenir le contrôle sur leurs populations respectives, au moment où elles se préparent à affronter de nouvelles difficultés socio-économiques, conséquences directes de cette nouvelle décision séditieuse.