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Africa Electoral Watch | Sénégal 2024 - Analyse post-électorale

22 avril 2024

Analyse

Le 29 mars 2024, le Conseil constitutionnel du Sénégal a annoncé la victoire, dès le premier tour, de l’opposant politique Bassirou Diomaye Faye, avec 54,28 % des voix, contre 35,79 % pour le candidat du parti au pouvoir, Amadou Bâ.

AFRICA ELECTORAL WATCH

Le 29 mars 2024, le Conseil constitutionnel du Sénégal a annoncé la victoire, dès le premier tour, de l’opposant politique Bassirou Diomaye Faye, avec 54,28 % des voix, contre 35,79 % pour le candidat du parti au pouvoir, Amadou Bâ. Diomaye Faye s’est imposé comme le candidat de la rupture, antisystème et anti-impérialiste, qui a réussi à séduire une jeunesse touchée par la montée du chômage et l’immigration. Dans un contexte de défiance générale vis-à-vis des institutions et d’incertitude suite à une période électorale mouvementée, le mandat de Diomaye Faye débute avec deux priorités : promouvoir la réconciliation nationale et rassurer les investisseurs internationaux. Combattre la corruption, lutter contre l’inflation, réduire la pauvreté, créer des emplois, et mettre en œuvre des réformes fiscales sont autant d’autres défis à relever. Sans surprise, le président a nommé Ousmane Sonko comme premier ministre, lequel a annoncé le 5 avril, la nomination d’un gouvernement resserré de 25 ministres, issu en grande partie des rangs du Pastef.  

ÉLÉMENTS À RETENIR

- Le candidat du Pastef, Diomaye Faye, a remporté l’élection présidentielle dès le premier tour, avec 54,28 % des voix, devenant ainsi le plus jeune président du Sénégal - La souveraineté nationale, le contenu local, l’emploi des jeunes, la lutte contre l’inflation et la gestion responsable des ressources naturelles sont au cœur des priorités du nouvel exécutif - Les investisseurs restent méfiants à l’égard du nouveau gouvernement, dont la nature des mesures politiques annoncés et l’opacité sur les ambitions réelles du gouvernement à les mener à bien, suscitent des inquiétudes - À court terme, la capacité du nouveau gouvernement à mettre en oeuvre ses réformes va être contrainte par des réalités politiques et économiques  

Un renouveau politique

Avec un taux de participation de 61,30 %, légèrement inférieur à celui du précédent vote de 2019, cette élection présidentielle a néanmoins été un scrutin plébiscité. La mobilisation du peuple sénégalais a été un enjeu important de cette élection qui s’est déroulée dans un contexte très particulier, marqué notamment par une campagne électorale écourtée : deux semaines au lieu des 21 jours prévus par le code électoral et la célébration du Ramadan. Libéré de prison 10 jours avant l’élection, après onze mois de détention préventive, le candidat du Pastef, Bassirou Diomaye Faye, a remporté l’élection présidentielle avec un score de 54,28 %, battant largement le candidat de la continuité, l’ancien Premier ministre Amadou Bâ (35,79 % des voix). Les autres prétendants à la magistrature suprême n’ont obtenu que des scores en deçà de 3 %. Mamadou Dia, arrivé en troisième position n’a obtenu que 2,8 % des voix, contre 1,56 % pour l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall. Il est le dernier candidat ayant franchi le seuil de 1 % des voix. La victoire de Faye reflète également l’éclatement de la coalition Benno Bokk Yakaar, qui n’a pas réussi à se rassembler autour de son candidat Amadou Bâ. Déjà sanctionnée par le vote présidentiel, l’héritage de la gouvernance de Macky Sall pourrait prendre un nouveau coup lors des prochaines élections législatives, avec des tensions persistantes au sein de BBY. Toutefois, la bipolarisation du paysage politique sénégalais devrait perdurer. Enfin, la réjuvénation de la classe politique et de l’administration sénégalaise devrait être une des principales conséquences de la victoire de Bassirou Diomaye Faye.

Un gouvernement de rupture aux couleurs du Pastef

Le gouvernement de Sonko est composé d’une majorité de technocrates dont la plupart n’ont jamais exercé de fonctions ministérielles. Ousmane Sonko et Diomaye Faye ont choisi de confier la mise en œuvre de leur projet à des cadres du Pastef. Ces derniers représentent près de la moitié des membres du gouvernement. Birame Souleye Diop, le nouveau ministre de l’Energie, du Pétrole et des Mines, fait partie des poids lourds du mouvement des patriotes. Vice-président du Pastef et président du groupe parlementaire de la coalition Yewwi Askan Wi, ce fidèle collaborateur de Sonko est considéré comme l’un des membres les moins subversifs du parti. Sa nomination à ce poste, au moment où le Sénégal se prépare à devenir producteur de pétrole et de gaz, marque la volonté de l’exécutif de garder un contrôle direct sur les questions relatives aux ressources naturelles. Une autre figure emblématique du mouvement nommée dans le nouveau gouvernement est le secrétaire chargé de la communication du Pastef, Malick Ndiaye, qui est désormais ministre des infrastructures et des transports terrestres et aériens. À la tête de la diplomatie sénégalaise, Yassine Fall, ancienne fonctionnaire internationale et vice-présidente chargée des relations internationales du Pastef. Elle est l’une des quatre femmes nommées au sein de ce gouvernement. Amadou Moustapha Ndieck Sarre, nommé ministre de la formation professionnelle et porte-parole du gouvernement, est une autre figure de proue du Pastef. Pour équilibrer ce gouvernement, ils se sont également entourés d’alliés, comme le nouveau ministre de l’éducation nationale, Moustapha Mamba Guirassy, ancien ministre sous le régime de Wade. Il a même été directeur de campagne de la coalition Diomaye Président. D’anciens soutiens du président sortant ont également été appelés au gouvernement, notamment Serigne Guèye Diop, ministre de l’industrie et du commerce, auparavant conseiller de Macky Sall chargé de l’agriculture et de l’industrie. L’équipe gouvernementale de Sonko se distingue également par ses grands absents. L’ancien premier ministre Aminata Touré, l’ancien ministre Habib Sy, et la député et ancienne ministre Aïda Mbodj, fervents soutiens de Diomaye Faye étaient attendus dans ce gouvernement. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Wade, quant à lui, n’a hérité d’aucun poste, malgré son soutien in extremis au Pastef.  

PRIORITÉS

CE QU’IL FAUT SURVEILLER

Le secteur privé face à l’incertitude

Si le retour de la stabilité politique a eu un impact positif sur la confiance des investisseurs, ces derniers restent dans l’expectative en attendant des précisions sur les nouvelles politiques et la capacité du gouvernement à les mettre en œuvre. Parmi les questions réglementaires sur lesquelles de plus amples informations sont attendues figurent le contenu local, les réglementations environnementales et les réformes fiscales visant à accroître les revenus de l’État. Pour l’heure, les signaux envoyés par l’exécutif, tantôt favorables et tantôt hostiles aux investisseurs, génèrent de l’incertitude. Du côté du secteur extractif en particulier, l’annonce des audits des secteurs minier, pétrolier et gazier est à l’origine de tensions et inquiétudes. Ces audits, dont la nature précise n’a pas encore été annoncée, pourraient avoir plusieurs aspects : financier, pour évaluer les surcoûts de certains projets, et réglementaire, pour évaluer la conformité avec le cadre légal sénégalais. La perspective des renégociations de contrats est une autre source de préoccupation au sein de l’industrie. Il reste à savoir si le Président a réellement l’intention de renégocier les contrats des projets déjà en cours. De nouveaux retards dans la production d’hydrocarbures compromettrait les perspectives de croissance à moyen terme du pays ainsi que l’activité des sous-traitants.

Faye-Sonko : un modèle de gouvernance viable ?

L’évolution de la relation entre Diomaye Faye et son mentor et premier ministre Ousmane Sonko présente des risques pour la gouvernance et la stabilité politique du pays. L’influence de Sonko sur les décisions exécutives et son autonomie sur les dossiers stratégiques restent encore à déterminer. Alors que Sonko pourrait craindre de perdre son statut de leader naturel sous la présidence de Faye, ce dernier pourrait quant à lui aspirer à se libérer de l’ombre de son mentor. Une éventuelle scission entre ces deux figures aurait des conséquences politiques majeures.

Vers de nouvelles élections législatives ?

La composition actuelle de l’Assemblée nationale, élue en juillet 2022, sera un frein à la capacité du nouveau gouvernement de mener à bien ses réformes les plus radicales. Pour changer ce rapport de force, le nouveau président va vraisemblablement dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer des élections législatives anticipées. Il devra cependant attendre le mois de septembre, car selon la loi sénégalaise, la dissolution de l’Assemblée nationale ne peut intervenir durant les deux premières années de législature.

Refonte des relations diplomatiques

Diomaye Faye a exprimé sa volonté de mener une politique de rééquilibrage des partenariats internationaux, notamment avec les puissances occidentales telles que la France et les Etats-Unis. Un mot d’ordre : instaurer des collaborations gagnant-gagnant. Le nouveau chef d’État sénégalais s’est déjà entretenu avec son homologue français, qui lui a confirmé sa volonté d’intensifier les relations entre les deux pays. Au niveau régional, le renforcement des efforts d’intégration est l’une de ses priorités. Diomaye Faye entend impulser une nouvelle dynamique réformatrice au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et œuvrer à la réintégration des trois pays de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) au sein de cette instance. Cette dernière ambition promet d’être une entreprise difficile, compte tenu des profonds désaccords idéologiques existant. Toutefois, un rapprochement entre les deux organisations pourrait constituer un terrain d’entente envisageable.

Accès au financement du FMI

Le programme de financement du FMI, accordé en juin 2023 au titre de la facilité élargie de crédit, du mécanisme élargi de crédit et de la facilité pour la résilience et la durabilité, d’un montant de 1,8 milliard de dollars ne devrait pas être remis en question. Le nouveau gouvernement devrait s’aligner sur les réformes structurelles convenues dans le cadre du programme, en particulier celles visant à renforcer l’administration fiscale et la gestion des finances publiques, mais aussi les efforts de lutte contre la corruption. Le prochain décaissement devrait être effectué dès le mois de juin.