En 2019, 54 pays africains ratifiaient en grande pompe la Zlecaf, la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), dans le but de promouvoir un développement inclusif et durable du continent. S’inscrivant à l’origine dans une logique panafricaniste et souverainiste, les partisans de ce traité privilégient aujourd’hui les promesses économiques. Quels obstacles se dressent sur la voie de cet ambitieux projet d’intégration économique africaine ?
À propos
Nicolas Hanin est consultant senior au sein de Concerto Paris. Spécialiste de l’élaboration de stratégies de communication corporate et d’affaires publiques, Nicolas conseille institutions publiques et acteurs du secteur privé. Contactez Nicolas à son adresse mail, nh@concerto-pr.com, pour obtenir plus d'informations ou pour découvrir comment Concerto peut vous accompagner.QUICK INSIGHTS
La Zlecaf, opportunité historique pour le développement africain ou cheval de Troie pour des acteurs extérieurs ?
Accélérateur de l’industrialisation pour les uns, première pierre du panafricanisme ou remède anti-crise pour d’autres, les arguments ne manquent pas pour vanter les mérites de ce modèle de traités de libre-échange intracontinentaux qui ont fait leurs preuves dans d’autres régions du monde. Les perspectives sont prometteuses : avec l’élimination progressive des tarifs douaniers et la promotion des chaînes de valeurs continentales, la création de ce vaste marché unique doit permettre sur le papier d’augmenter le PIB africain de 7%, soit 450 milliards de dollars à horizon 2035 selon la Banque mondiale.L’enjeu est considérable : en 2019, le commerce intra-africain ne représentait que 14,4 % du total des exportations africaines, une performance très faible au regard des 52 % du commerce intra-asiatique et aux 73 % au sein de l’UE sur la même période, selon Afreximbank. Ces chiffres soulignent toute la vulnérabilité africaine aux fluctuations économiques extérieures, comme la Chine, source considérable d’IDE sur le continent mais en net recul.A contrario du marché unique européen ou de l’ALENA en Amérique du Nord, l’immense majorité des économies africaines demeurent néanmoins fragiles, et font souvent appel à des aides extérieures, voire à de l’assistance technique de pays ou d’acteurs tiers. La Zlecaf pourrait permettre à des acteurs extérieurs un accès facilité à l’ensemble des marchés africains, exploitant les failles des économies les plus fragiles. L’exemple du Kenya est particulièrement révélateur de ce risque. La neuvième économie du continent a signé en décembre 2023 un accord de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne. Contre l'avis des autres États membres de la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE), le pays entendait tirer profit de nouvelles débouchées commerciales pour ses exportations de fruits, de légumes et en particulier de fleurs. A présent les puissantes entreprises kényanes “peuvent désormais importer sans droit de douane des intrants agricoles pour des productions qu'ils peuvent ensuite exporter chez leurs voisins de la sous-région qui, eux, ne bénéficient pas de cet avantage” confie l’avocat belge Marc Maes.En outre, certains poids lourds économiques africains tirent largement profit des protections intérieures mises en œuvre par les États pour faire croître leurs activités à l’abri de la concurrence étrangère.
Coups d’État, marchés inégaux, multiples monnaies… Les points de blocage demeurent nombreux
Si l’adoption du traité par 54 pays africains constitue une victoire diplomatique incontestable, son déploiement effectif s’avère, lui, beaucoup plus complexe. Malgré des réussites notables sur certaines filières, notamment alimentaires (thé, café, viandes ou fruits), seuls 96 produits s’inscrivant dans le cadre de la Zlecaf étaient échangés entre moins d’une dizaine de pays africains en 2023.L’heure est encore aux négociations techniques entre États, qui doivent accepter de réduire leurs recettes douanières nationales et attendre des effets positifs à plus long terme. C’est un changement de paradigme qui doit s’opérer, les droits de douane ne devant plus être considérés comme un outil de revenu pour les États, mais un levier au service d’une industrialisation naissante.Parmi les sujets les plus conflictuels, citons aussi la définition des règles d’origine par produit, c’est-à-dire le calcul du pourcentage de la production locale de tel ou tel produit. À ce titre, chaque pays doit désormais établir une “stratégie Zlecaf” qui s’inscrive étroitement dans sa politique de compétitivité nationale, et ce, afin de préparer en amont les différentes filières à une ouverture au marché continental.Coûteuses à construire comme à entretenir, les infrastructures nécessaires à la mise en place d’un espace de libre-échange intra-africain manquent également. De nombreux États ne disposent pas à l’heure actuelle d’installations frontalières requises au développement d’une zone de libre échange de cette envergure. Cette faiblesse logistique limite la capacité des pays africains à augmenter à moyen terme leurs exportations continentales.Sur le plan politique enfin, la multiplication ces dernières années des coups d’États militaires et l’application de sanctions, notamment en Afrique de l’Ouest, a marqué un coup d’arrêt à la dynamique d’une intégration économique et politique des États africains.Ces difficultés de taille viennent souligner combien la comparaison de la Zlecaf avec le modèle d’intégration de l’UE, établi dans le cadre d’économies industrialisées, fait figure de copier-coller inapproprié. Si certains pointent la lenteur du déploiement de la Zlecaf, Abdou Diop, managing Partner de Mazars, préfère rappeler que “L'UE a mis du temps à se construire. On est un peu trop impatient vis-à-vis de la Zlecaf. Il y a encore une bonne dizaine d'années avant d'arriver aux objectifs de croissance de 4% visés par la Zlecaf ».
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