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Les défis de l’élection présidentielle au Kenya

27 avril 2022

Analyse

Le Kenya organisera en août une élection présidentielle à l'issue incertaine. Les deux principaux candidats, Raila Odinga, 77 ans, figure de longue date de l’opposition, et William Ruto, 55 ans, vice-président, viennent d’initier des négociations de coalition avec des formations politiques minoritaires. Alors que la campagne et le marchandage politique battent leur plein, plusieurs défis majeurs se posent.
Le pays tente toujours de réformer son système politique caractérisé par un consensus dysfonctionnel qui entraîne une concurrence interethnique et pose des problèmes institutionnels et des crises électorales consécutives. La poignée de main entre le Président Kenyatta et Raila Odinga en mars 2018 a débouché sur une situation sans précédent dans laquelle l’opposition, sous la direction d’Odinga, a travaillé en étroite collaboration avec l’administration actuelle tandis que le vice-président est devenu le principal opposant.  Le Kenya se trouve également dans une situation économique et fiscale difficile exacerbée par la pandémie. L’inflation et la raréfaction des opportunités économiques ont accentué la défiance d’une large partie de la population envers les élites traditionnelles du pays.

Répondre à la demande populaire

Il subsiste encore de nombreuses questions sur l’approche choisie par Odinga et Ruto pour faire face aux défis économiques du Kenya puisque les candidats ne publieront leur programme définitif probablement qu’en juin.  D’après ses annonces à date, le programme économique d’Odinga devrait insister sur l’importance de conserver la valeur ajoutée dans le pays et sur des promesses de développement ciblées dans des circonscriptions stratégiques. Il promet aussi une allocation mensuelle de 6 000 KSH (environ 60 USD) aux ménages les plus nécessiteux, visant particulièrement les jeunes chômeurs du pays.  Ruto, lui, propose une évolution vers des politiques économiques “bottom-up” prenant davantage en compte les besoins locaux via une politique de décentralisation. Selon son équipe, cela permettrait aux investissements et aux crédits d’affluer plus directement vers les projets, sans la médiation de ce qu’ils considèrent comme des réseaux d’économie politique opaques favorisant la corruption.

Naviguer entre promesses audacieuses et contraintes majeures 

Au-delà des annonces, celui qui prendra les rênes du pays devra faire face à des contraintes importantes pour tenir ses promesses. La plus importante d'entre elles sera d’ordre budgétaire. La dette nationale a fortement augmenté ces cinq dernières années en raison d’inefficacités structurelles renforcées par la pandémie. Les pressions supplémentaires dues à la sécheresse qui sévit actuellement et les effets géo-économiques de la guerre en Ukraine risquent également de compliquer la situation à court et moyen terme. L’idée selon laquelle les jeunes jouent un rôle électoral dans la construction d’un système politique plus inclusif a aussi quelque peu faibli. En effet, une récente campagne d’inscription des électeurs menée par la Commission électorale indépendante et des frontières (IEBC) n’a enregistré qu’une faible part de jeunes Kényans en âge de voter. 

Deux marqueurs à observer ces quatre prochains mois 

Odinga tente de bâtir une coalition suffisamment forte afin de gagner des circonscriptions clés telles que la région disputée du Mont Kenya. Il s’agit également pour lui de lutter contre l’idée selon laquelle sa force politique repose essentiellement sur le soutien du Président et de ses alliés. Le rôle du Jubilee Party de Kenyatta dans ces dynamiques de coalition est essentiel car il se bouscule avec l’ODM d’Odinga et d’autres partis pour jouer le rôle d’arbitre, chacun cherchant à prendre le dessus sur l’autre.  Ruto devra convaincre au-delà de la majorité populaire et prouver sa capacité à élaborer et mettre en œuvre un programme viable, répondant tant aux besoins du Kényan moyen qu’à ceux des opérateurs économiques, investisseurs et partenaires internationaux. Compte tenu de la situation pré-électorale, et alors que les analystes espèrent que le Kenya pourra éviter les crises post-électorales et les violences de 2007 et 2017, assurer l’intégrité des élections suite à la publication des résultats du vote devient primordial. Avec une population soumise à une pression économique importante, qui a le sentiment d’être oubliée par l’État, nourrissant une défiance croissante envers l’élite traditionnelle du pays, la frustration pourrait exploser si des signes de fraude sont observés en août.