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Africa Electoral Watch | Sénégal - Analyse pré-électorale

22 mars 2024

Analyse

Depuis février, le Sénégal traverse une crise constitutionnelle, due au report de l’élection présidentielle et d’une série de décisions controversées et inédites prises par le président Macky Sall. Les efforts pour apaiser les tensions par le dialogue politique ont abouti à une situation encore plus complexe.

AFRICA ELECTORAL WATCH

Depuis février, le Sénégal traverse une crise constitutionnelle, due au report de l’élection présidentielle et d’une série de décisions controversées et inédites prises par le président Macky Sall. Les efforts pour apaiser les tensions par le dialogue politique ont abouti à une situation encore plus complexe. Des propositions telles que la tenue des élections le 2 juin, un projet de loi d’amnistie couvrant les actes liés aux manifestations meurtrières de ces dernières années, et une proposition de reprise du processus de sélection des candidats ont été avancées. Cependant, la plupart des décisions en faveur du statu quo ont été rejetées par le conseil constitutionnel. Après une longue période d’incertitude politique, l’élection se tiendra le 24 mars, dans un contexte de profonde méfiance à l’égard du parti au pouvoir et, par extension, de son candidat, l’ancien premier ministre Amadou Bâ. Ce dernier sera confronté à 18 autres candidats validés par le conseil constitutionnel, une liste qui exclut Karim Wade et Ousmane Sonko, deux figures politiques majeures issues de l’opposition. Le mandat de Macky Sall arrivant à son terme le 2 avril, l’incertitude plane sur le choix de son successeur lors de ces élections à fort enjeu.  

ÉLÉMENTS À RETENIR

- Le premier tour de l’élection présidentielle est prévu pour le 24 mars. - Le scrutin devrait être un duel entre l’ancien premier ministre Amadou Bâ et l’opposant Bassirou Diomaye Faye. - Une mobilisation importante est attendue le jour de l’élection, avec une participation active de la jeunesse politisée. - Les résultats s’annoncent serrés, avec un risque de troubles généralisés dans le cas d’une victoire de la coalition au pouvoir. - Sur le plan politique, une victoire de l’opposition aurait des conséquences importantes, notamment une position plus rigide vis-à-vis des investisseurs étrangers.

LES POINTS À SURVEILLER

Un match serré L’élection va donner lieu à une lutte intense entre le candidat de la majorité, Amadou Bâ, premier ministre jusqu’au 6 mars 2024, et Bassirou Diomaye Faye, candidat de substitution d’Ousmane Sonko, chef du parti d’opposition ex-PASTEF. Confronté à des dissensions au sein de son propre camp, le candidat choisi par Macky Sall devrait mener une campagne éclair dans les prochains jours pour compenser ses récents revers et défier les prédictions des sondages officieux, qui le donnaient perdant face à l’opposition. Sa victoire est loin d’être assurée, d’autant plus que la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) a perdu des partisans à la suite des dernières manœuvres politiques de Macky Sall, qui ont divisé et érodé sa base de soutien. La décision du conseil constitutionnel de ne pas réexaminer les candidatures des candidats disqualifiés, notamment Karime Wade et Ousmane Sonko, signifie qu’ils ne pourront pas se présenter à l’élection. Turbulences à l’horizon Les activités commerciales devraient être affectées jusqu’à la mi-avril. De nouveaux troubles sont attendus en cas de victoire de la coalition au pouvoir. Le court délai jusqu’aux élections risque de compromettre la préparation des bureaux de vote, du personnel et des organes chargés de superviser le jour du scrutin, y compris la commission électorale, ce qui pourrait à son tour susciter des doutes sur l’intégrité des élections. Tout soupçon de fraude ou de malversation, en particulier si l’opposition perd, sera utilisé pour contester les résultats et entraînera de nouvelles manifestations. Les groupes de l’opposition et de la société civile tels que FC25 (un alliance des candidats à la présidence), F24 et Aar Sunu élection, qui ont récemment uni leurs forces pour coordonner leur combat au sein du front de résistance Fippu, agiront comme des forces de ralliement pour les manifestations de masse. Le cas échéant, comme cela a déjà été observé, des coupures d’Internet sont probables, ainsi que la destruction ciblée de biens, notamment d’entreprises ayant des liens avec la France. Une victoire de l’ex PASTEF entraînerait une baisse significative de la confiance des investisseurs. La position anti-impérialiste du parti pourrait conduire à une réévaluation des contrats et des accords, notamment dans les secteurs des hydrocarbures et des mines. Une forte mobilisation de la jeunesse L’élection présidentielle devrait connaître une hausse de la participation électorale, notamment chez les jeunes, une tendance qui favorisera l’opposition. En 2019, le taux de 66,27% était déjà l’un des plus élevés de l’histoire du pays. La forte posture anti système de l’ex-PASTEF lui a permis d’obtenir un soutien important de la jeunesse sénégalaise. Le report des élections par le président Macky Sall a exacerbé un sentiment de méfiance parmi les citoyens, en particulier les jeunes, dont beaucoup ont exprimé leur intention de voter en signe de protestation, ce qui contribuera à un taux de participation élevé. En outre, le vote de la diaspora, qui s’aligne principalement sur les candidats de l’opposition, pourrait également jouer un rôle clé. Lors des élections législatives de juillet 2022, le parti au pouvoir, BBY, a subi un revers majeur et a failli perdre sa majorité au parlement. De même, lors des élections locales de janvier 2022, BBY n’a pas atteint son objectif de remporter la majorité dans les zones densément peuplées telles que Dakar et Ziguinchor, toutes deux dominées par la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, dont l’ex-PASTEF fait partie. L’élection présidentielle de 2019 a montré que plus de la moitié de l’électorat du pays se concentre dans des régions charnières telles que Dakar, Thiès, Diourbel et Kaolack, qui devraient toutes connaître une forte augmentation de la participation électorale. Un scrutin sous haute surveillance Les résultats de l’élection présidentielle pourraient avoir un impact majeur sur la stabilité de la région, mise à mal ces trois dernières années par des coups d’État et le risque croissant de propagation du terrorisme, si la coalition au pouvoir perd le scrutin. Les dirigeants de l’ex-PASTEF ont exprimé à plusieurs reprises leurs critiques à l’égard de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Si le risque d’un retrait similaire à celui des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) peut être écarté, ils pourraient néanmoins appeler à un certain nombre de changements (durcissement de la position contre les changements anticonstitutionnels, accélération de l’intégration économique, relance de la discussion sur la monnaie commune) à l’intérieur de la zone. Cela risque de se heurter à une certaine résistance de la part des autres États membres. Plus largement, une victoire de l’ex-PASTEF entraînera une refonte de la coopération avec les partenaires stratégiques du Sénégal, notamment la France et les États-Unis.