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Jacob Zuma et l’ANC : un divorce coûteux ?

28 février 2024

Analyse

Un point de non-retour dans la rupture entre Jacob Zuma et l’ANC a été atteint le 29 janvier avec la décision de suspendre le prédécesseur de l’actuel Président Cyril Ramaphosa de son adhésion au parti. Une première aux potentielles répercussions désastreuses pour l’ANC dans sa course à son maintien à la tête du pays. Zuma qui bénéficie encore d’une forte popularité, pourra-t-il revenir dans le jeu politique ? Quelle issue pour l’ANC sans une partie des voix des pro-Zuma ?

À propos

Kevin Nana est Consultant chez Concerto, et spécialiste des questions africaines. Il s’intéresse notamment aux questions économiques (infrastructures, transport et énergie) et politiques dans la région. Contactez Kevin à son adresse mail, kn@concerto-pr.com, afin d’obtenir plus d'informations sur le sujet, ou pour mieux comprendre comment Concerto peut vous accompagner.
QUICK INSIGHTS
  • Les cadres de l’African National Congress ont pris la décision historique de suspendre Jacob Zuma, ancien président sud-africain et ancien président de l’ANC de son adhésion au parti. Cela fait suite à son annonce de ne pas soutenir l’ANC lors des prochaines élections législatives.
  • À quelques mois de l’élection prévue au deuxième trimestre, cette décision qui scelle une scission sans précédent au sein du parti rend encore plus inévitable une contre performance électorale.
  • La formation d’un premier gouvernement de coalition dans l’histoire démocratique de l’Afrique du Sud pourrait être une des conséquences de cette rupture entre l’ANC et son ancien président. 

Jacob Zuma vs. ANC : épilogue d’un divorce débuté en 2018 ?

Réunie en congrès pendant trois jours, la direction de l’ANC a décidé de suspendre Jacob Zuma le 29 janvier dernier suite à ce qui est considéré comme une dissidence de sa part. L’ancien président du parti a en effet procédé à la création d’une nouvelle formation politique dénommée uMkhonto Wesizwe (MK), du nom de la branche armée de l'ANC durant la période de l'apartheid. Cette décision, inévitable compte tenu de l’escalade continue des tensions entre les deux parties, n’est rien d’autre que le dernier épisode du conflit opposant Zuma à la frange du parti aujourd’hui dirigé par Cyril Ramaphosa, son ancien vice-président. L’origine des tensions entre Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa remontent à 2018 et le départ forcé de Zuma — qui pourrait également remonter à 2017, lorsque Ramaphosa a battu l'ancienne présidente de l'UA, Dlamini-Zuma dans la course à la présidence de l'ANC — , départ qu’il n’a jamais pardonné à sa formation politique. Bien qu’un des objectifs sous-jacents de Zuma soit de faire un score assez suffisant pour contraindre l’ANC à une alliance de circonstance lui permettant de marchander une immunité face à ses multiples affaires judiciaires, son principal objectif se trouve ailleurs. Zuma cherche surtout à se venger de l’actuel président et de l’affaiblir politiquement au sein du parti.  

2024 : un possible tournant électoral pour l’Afrique du Sud et l’ANC

L’enjeu est de taille pour l’ANC qui a connu différentes déconvenues électorales - depuis 2014, le parti connaît une baisse de ses différents scores électoraux - ces dernières années. Les résultats d’un sondage publié par IPSOS début février montrent que l’ANC, qui dirige l’Afrique du Sud depuis 1994, pourrait perdre sa majorité parlementaire pour la première fois de son histoire selon différents scénarios. Prévues le 29 mai, les élections générales pourraient être un tournant pour une tout autre raison. Elles pourraient ouvrir la voie à la formation d’un gouvernement de coalition à l’échelle nationale, ce qui serait inédit dans l’histoire politique de la nation arc-en-ciel. Dans cette éventualité, l’ANC pourrait s’en sortir sans avoir à s’allier à ses adversaires directs que seront le Democratic Alliance (DA) ou l’Economic Freedom Fighters (EFF). L’ANC pourrait à l’inverse se tourner vers une alliance avec des partis qui ne présentent pas de menaces directes. Une telle alliance pourrait se faire avec des parties comme l’Inkatha Freedom Party (IFP) ou d’autres parties de moindre envergure comme l’UDM, Al Jamah-ah, African Transformation Movement ou le GOOD party. Cela pourrait toutefois prendre un certain temps jusqu'à l’émergence d'un concurrent crédible. Du côté de l’ANC qui voit son score aux locales et aux législatives baisser depuis 2009, l’issue de ces élections pourrait amorcer un processus de réflexion interne sur la direction que doit prendre le parti. Bien que disposant encore du soutien d’une frange importante du parti, le leadership de Cyril Ramaphosa, fortement remis en question, pourrait l’être de plus en plus. Un score largement en deçà des 50 % lors de ces élections accélérerait la course à sa succession qui a déjà débuté lors du congrès tenu en décembre 2022.  

Jacob Zuma : de roi déchu à faiseurs de rois ?

Les spéculations sur le rôle de Jacob Zuma dans l’issue des prochaines élections sont nombreuses. Originaire du KwaZulu Natal - un des bastions de l’ANC — où il garde une très forte popularité, son objectif est de soutirer suffisamment de voix à l’ANC afin de peser dans les futures négociations de coalition. Sa nouvelle formation politique devrait lui permettre d'affirmer son poids politique et d’influer sur des possibles changements de leadership à la tête de l’ANC. Celui qui était décrit comme le roi de la corruption pourrait avoir un rôle à jouer dans le choix du futur dirigeant de l’ANC en cas de débâcle électorale. Cependant, la réalité du terrain devrait vite rattraper Zuma. Le manque d’ancrage local de sa formation — en dehors du KwaZulu Natal — est une donnée essentielle à prendre en compte. Bien que certains sondages lui prédisent entre 5 et 9 % des voix à l’échelle nationale, son score pourrait se situer bien en-deçà. Une coalition entre l’ANC de Ramaphosa et le parti MK n’est néanmoins pas une option envisageable, sauf en cas de déconvenue de la part du parti au pouvoir. Elle marquerait un pas en arrière de l’ANC dans sa volonté de se distancer de son passé.