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L’Agence Africaine de Notation de Crédit (ACRA), une alternative aux " Big Three " ?

30 mars 2022

Analyse

Les agences de notation financière jouent un rôle majeur dans le secteur financier international. Elles fournissent une évaluation quantifiée de la solvabilité des États et mesurent le risque de défaut de paiement de la dette par l'emprunteur. La demande d'emprunt sur les marchés financiers internationaux connaît actuellement une croissance exponentielle en Afrique. Dans un contexte de reprise économique mondiale post-pandémique, cette demande devrait poursuivre sa croissance.
C'est dans cette perspective qu'une agence de notation panafricaine, l'Agence Africaine de Notation de Crédit (ACRA), verra le jour en Afrique avant la fin de l'année 2022. L’annonce a été faite par le directeur du Mécanisme Africain d'Evaluation par les Pairs (MAEP), rattaché à l'Union africaine, lors d'une réunion de sensibilisation sur les agences de notation internationales organisée mi-mars à Accra (Ghana). La création de cette nouvelle plateforme intervient à la suite d’une étude de faisabilité conduite par le MAEP depuis 2018 sur la création d’une agence de notation africaine. Le processus de conception du cadre juridique et structurel d’ACRA a déjà été lancé et devrait s’étendre sur plusieurs mois.  Plus précisément, la création d’ACRA est une réponse aux nombreuses critiques formulées par les gouvernements africains à l'encontre des “Big Three” : Moody's Investors Services (Moody's), S&P Global Ratings (S&P) et Fitch Ratings (Fitch). Ces dernières sont régulièrement accusées de partialité à l'égard des pays africains. Des recherches ont ainsi révélé que les agences de notation basées en Afrique attribuaient généralement des notes plus détaillées et nettement plus élevées que celles de Moody's, S&P et Fitch. De nombreuses critiques sont également formulées à l’égard de leur manque de compréhension du contexte national des économies africaines. Les trois agences ne consultent que rarement les représentants des gouvernements africains au cours du processus d'examen, tandis que l’envoi d’analystes chargés d'effectuer des visites sur le terrain est loin d’être systématique. Moody's et S&P couvrent respectivement 28 et 19 pays avec un seul bureau en Afrique du Sud, tandis que Fitch n'est pas présente en Afrique. Au cours des dernières années, de plus en plus de pays africains ont dénoncé leur statut hégémonique ainsi que leurs méthodes. Le Ghana, qui a vu sa note souveraine abaissée par Moody's début février 2022, a accusé l’agence d’avoir omis des informations clés dans son évaluation et d'avoir refusé de donner à un son analyste suffisamment de temps pour comprendre pleinement l'économie ghanéenne avant l'évaluation. En 2017, le gouvernement namibien a également dénoncé les analyses trompeuses et les interprétations erronées des agences de notation, tandis que le Nigeria s’est publiquement opposé en 2016 et 2017 aux négligences des efforts déployés par le pays pour améliorer sa situation économique. Le gouvernement zambien a été l'un des premiers pays à s'élever contre l'hégémonie de ces agences, dénonçant dès 2015 le manque d'échanges d’informations et de discussions entre le gouvernement et l'agence de notation avant la publication de la nouvelle note. Si plusieurs pays africains ont tenté ces dernières années de contester judiciairement une notation, aucun recours n’a porté ses fruits. En l'absence d'autorités compétentes pour superviser la réglementation des agences de notation internationales, aucun organisme officiel ne peut se prononcer sur cette question. Les enjeux sont considérables pour l'Agence Africaine de Notation de Crédit. On attendra de l'ACRA qu'elle remette en question le parti pris négatif à l'encontre des pays africains. Parallèlement, l'agence de notation continentale devra faire face à une forte concurrence. D’autres agences de notation panafricaine existent déjà, telle que Bloomfield Investment Corporation en Côte d’Ivoire. De plus, en février, Moody's a annoncé sa décision d'acquérir une participation de 51 % dans Global Credit Rating (GCR), la plus grande agence de notation d'Afrique, qui est à l'origine de la plupart des notations émises sur le continent. C'est dans ce contexte que l'ACRA devra s'imposer comme une alternative crédible et durable aux acteurs traditionnels de la notation internationale.