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Qu’attendre du mandat de Bola Tinubu, nouveau président de la CEDEAO ?

10 août 2023

Analyse

Récemment élu à la présidence de son pays, le Nigérian Bola Tinubu a été porté à la tête de la présidence tournante de la communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) lors de la 63ᵉ session de la conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'organisation, qui s'est tenue le 9 juillet dans la capitale de la Guinée-Bissau. Il succède à Umaro Sissoco Embaló, président de la République de Guinée-Bissau. Pour son mandat d'un an, l'ancien homme d'affaires a fait de la sécurité l'une de ses priorités, appelant à une collaboration régionale pour lutter contre l'insécurité croissante, en particulier les coups d'État et le terrorisme. Que peut-on attendre du mandat de Tinubu ?

Le Niger, le grand test pour la CEDEAO et son président

Deux semaines après son élection à la tête de la CEDEAO, Bola Tinubu a été confronté au coup d'État au Niger qui a destitué Mohamed Bazoum. Ayant fait de la lutte contre les coups d'État et de la protection de la démocratie son cheval de bataille, sa crédibilité et celle de l'organisation régionale dépendront fortement des résultats obtenus dans la résolution de la crise institutionnelle dans ce pays voisin du Nigeria. Après l'échec des médiations en Guinée, au Mali et au Burkina Faso, le Niger est la dernière crise qui pourrait définitivement ruiner la réputation de la CEDEAO, outil diplomatique de premier plan en Afrique de l'Ouest. Se posant en homme d'action, Bola Tinubu a réagi rapidement après l'annonce du coup d'État en envoyant le chef d'état-major de l'armée nigériane à Niamey. La CEDEAO a également adopté des sanctions contre les responsables du coup d'État et a annoncé son intention de recourir à la force si le président n'était pas réhabilité avant le 6 août. Option de dernier recours, les grandes lignes d'une action militaire cinétique sont néanmoins toujours en cours de préparation par les dirigeants ouest-africains, qui doivent se réunir une nouvelle fois le 10 août à Abuja. Cependant, si le président nigérian semble convaincre ses pairs, il rencontre de nombreux obstacles dans son pays, le Sénat et l'opposition ayant rejeté sa demande d'envoyer l'armée et l'appelant à recourir à des solutions diplomatiques. Ces dernières sont pourtant dans l’impasse, Niamey ayant refusé d'accueillir une délégation conjointe de la CEDEAO, de l'Union africaine et des Nations unies, dont l'objectif était de négocier pour éviter une éventuelle intervention militaire. Le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) a également fermé l'espace aérien du pays sine die. Si la CEDEAO a décidé d'aller aussi loin, c'est parce que ses dirigeants craignent l'implosion de la région, en proie depuis trois ans à des putschs à répétition et à des tentatives contenues (Sierra Leone 2023, Guinée-Bissau 2022). L'absence de mécanismes de pression efficaces de la part de la CEDEAO pourrait être un facteur aggravant, multipliant les événements de ce type. En lançant ces ultimatums, la CEDEAO s'expose à plusieurs risques. Le premier est une perte totale de crédibilité si Bazoum n'est pas réhabilité et que l'organisation régionale n'intervient pas militairement. Le second est la consolidation de l'alliance de circonstance entre la Guinée, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, et le détournement de ces pays de la CEDEAO. Cela aboutirait à l'éclatement définitif du bloc, qui, de fait, est de moins en moins homogène, et ralentirait encore plus l'intégration régionale. Le troisième est la formation de blocs de pays pour ou contre l'intervention militaire et tout autre recours à la force. Le Tchad et l'Algérie se sont déjà prononcés contre toute intervention militaire de la CEDEAO au Niger.  

Renforcer l'influence de la CEDEAO

Outre la question du Niger, le mandat de Tinubu se concentrera sur deux domaines : les défis de la paix et de la sécurité, et la gouvernance économique. Affaiblie par des crises politico-institutionnelles et questionnée sur ses prérogatives diplomatiques, politiques et sécuritaires, la CEDEAO a besoin de réaffirmer sa place en tant qu’acteur politique et économique. La sécurité régionale, pierre angulaire du mandat de Tinubu, est de loin le chantier prioritaire. Au niveau national également, le Nigérian a fait de ce domaine l'un des thèmes clés de sa campagne présidentielle, revenant sur ses réussites lorsqu'il était gouverneur de Lagos. Tinubu entend également mettre à profit son mandat pour redonner au Nigeria la place centrale qu'il occupait au sein de l'organisation régionale dans les années 2000. En outre, il aspire à se démarquer de son prédécesseur Buhari, qui avait donné la priorité aux questions de sécurité nationale au détriment des défis de la région, notamment le terrorisme et la criminalité transnationale organisée. Il a annoncé qu’il ferait preuve d'une grande fermeté dans le suivi de la mise en œuvre des calendriers de transition et dans le suivi du transfert du pouvoir des militaires aux civils, en Guinée, au Burkina Faso, au Mali, et désormais au Niger.  

Intégration économique régionale par la libéralisation des échanges

Le volet économique reste un domaine important pour Tinubu, qui souhaite que le commerce soit l'épine dorsale de l'intégration ouest-africaine. Jugeant le commerce intra-régional en Afrique de l'Ouest trop faible, l'une de ses priorités devrait être d'accélérer la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine, y compris de l'union douanière et du marché commun. Issu du secteur privé, le président nigérian est appelé à devenir le champion du secteur dans sa coopération avec la CEDEAO, et faire pression sur l'organisation régionale pour qu'elle poursuive son programme de libéralisation des échanges. Pour ce faire, Tinubu entend soutenir la construction d'infrastructures régionales, qui devraient à la fois favoriser le développement et l'intégration économique, et stimuler les investissements. L'autoroute du corridor Lagos-Abidjan est l'un des projets visés. Le plaidoyer de Tinubu au niveau régional devrait faire écho à ses politiques nationales, avec l'ambition de développer des projets dans les domaines du transport, de l'électricité et de l'eau. Ces projets devraient être financés par des investissements étrangers, mais aussi par des fonds régionaux, à l’image du nouveau fonds national de soutien aux infrastructures mis en place au Nigeria en juillet 2023.    

À propos

Carine Gazier est project consultant chez Concerto, elle est spécialisée sur les questions politico-économiques et le secteur de l'énergie en Afrique. Pour plus d'informations et d'analyses, ou pour mieux comprendre comment Concerto peut vous accompagner, veuillez contacter insights@concerto-pr.com.