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Africa Electoral Watch | Afrique du Sud 2024 - Analyse pré-électorale

27 mai 2024

Analyse

Le 29 mai marquera le 30ème anniversaire de la fin de l’apartheid et de l’adoption d’une démocratie constitutionnelle inclusive en Afrique du Sud.

AFRICA ELECTORAL WATCH

Le 29 mai marquera le 30ème anniversaire de la fin de l’apartheid et de l’adoption d’une démocratie constitutionnelle inclusive en Afrique du Sud. Les prochaines élections générales devraient être les plus disputées depuis les élections de 1994. Le premier mandat du président Cyril Ramaphosa a été marqué par la corruption, la stagnation économique, la détérioration des prestations des services publics, l’augmentation de la criminalité et de l’insécurité, et la dégradation des infrastructures. L’African National Congress (ANC), parti au pouvoir, attribue ces lacunes à une combinaison de facteurs, notamment l’héritage des échecs de l’administration précédente, la pandémie de COVID-19 et l’insurrection de juillet 2021 dans les provinces de Gauteng et du KwaZulu Natal. Malgré son impopularité évidente, l’ANC finira par l’emporter en raison de son influence, de sa présence nationale, de son rôle dans l’amélioration des conditions de vie d’une grande partie de la population noire et de son rôle historique dans la fin de l’apartheid. Toutefois, les partis d’opposition établis, notamment le Democratic Alliance (DA), l’Economic Freedom Fighters (EFF) et l’Inkatha Freedom Party (IFP), ainsi que le nouveau parti uMkhonto Wesizwe (MK), chercheront à obtenir suffisamment de voix pour que le score de l’ANC soit inférieur au seuil de 50 %. Cela empêcherait le parti d’obtenir la majorité absolue et permettrait à ces partis d’opposition de participer à la formation d’un gouvernement de coalition.  

ÉLÉMENTS À RETENIR

• L’ANC remportera les élections mais perdra probablement son statut de parti hégémonique et pourrait être amené à former un gouvernement de coalition, ce qui pourrait être source d’instabilité politique • Le parti MK de l’ancien président Jacob Zuma deviendra probablement la quatrième force politique du pays. Il pourrait éventuellement faire partie d’un gouvernement de coalition nationale ou influer au niveau du gouvernement provincial du KwaZulu Natal • L’impact global de la participation de candidats indépendants sera marginal • Le taux de participation des électeurs sera un facteur clé, car une faible mobilisation, en particulier des jeunes, sera de bon augure pour l’ANC • L’ANC et le DA ont adopté des programmes politiques visant à promouvoir des politiques favorables au marché, tandis que l’EFF et le MK ont plaidé pour la mise en œuvre d’initiatives de redistribution économique susceptibles d’effrayer les investisseurs LES POINTS À SURVEILLER L’influence du parti MK de Zuma Un facteur clé confirmant la nature compétitive et imprévisible de l’élection du 29 mai est de savoir si l’ancien président Jacob Zuma et son nouveau parti uMkhonto Wesizwe (MK) pourraient contribuer à réduire la part de voix de l’ANC. Le MK, qui tire son nom de la branche armée de l’ANC à l’époque de l’apartheid, veut changer l’Afrique du Sud en éloignant le pays de la suprématie constitutionnelle au profit d’une suprématie parlementaire sans entraves. Il souhaite également nationaliser les banques et les mines, exproprier les terres sans compensation et étendre le système de protection sociale. Le parti ne dispose toutefois pas d’une base de soutien solide, Zuma ayant principalement fait campagne dans sa province natale du KwaZulu Natal et les membres du parti s’adressant aux électeurs zoulous des provinces de Gauteng et de Mpumalanga. Gauteng et KwaZulu Natal comptent le plus grand nombre d’électeurs inscrits (6,5 et 5,7 millions respectivement). En plus de capitaliser sur les affiliations ethno-régionales, le MK vise à mobiliser les membres indécis de l’ANC et la faction anti-Ramaphosa du parti, qui a été largement neutralisée mais qui compte encore des membres éminents à des postes d’influence. Si Jacob Zuma reste une figure populaire, son rôle central dans l’émergence de nombreux problèmes actuels du pays et le fait que le parti ait délibérément courtisé le vote zoulou dissuaderont probablement les électeurs d’élire le MK au niveau national. L’ANC pourrait potentiellement tirer profit des récentes dissensions au sein du MK, résultant d’allégations de réunions non autorisées avec l’ANC et d’irrégularités financières. Cela a conduit au récent licenciement de personnalités de premier plan, dont son fondateur Jabulani Khumalo. En outre, il sera difficile pour le MK d’attirer les votes des partisans de l’EFF et du parti de la liberté Inkatha (IFP), qui partagent respectivement le même programme politique et ont les mêmes électeurs cibles. La décision de la Cour constitutionnelle du 20 mai d’interdire à Zuma de se présenter comme candidat parlementaire constitue un revers significatif pour lui. À moins qu’il ne fasse appel, cela l’empêchera d’obtenir une plateforme supplémentaire, pour critiquer l’ANC et augmenter sa popularité. Cette décision mettra également fin à toute chance pour lui d’être nommé à un poste national si l’ANC forme une coalition avec le MK. Malgré cette interdiction, Zuma reste le chef du parti et il est probable qu’il utilisera ce verdict pour justifier ses accusations antérieures selon lesquelles la justice aurait un parti pris contre lui. Malgré ce revers, le MK a toujours la possibilité de former une coalition avec l’ANC dans le gouvernement de la province du KwaZulu-Natal. Incertitude sur le taux de participation Le faible taux d’inscription des jeunes électeurs, combiné à l’incertitude de la participation, pourrait jouer en faveur de l’ANC, lui permettant d’obtenir un score suffisant pour éviter de faire des compromis politiques majeurs. Les chiffres publiés par la commission électorale indépendante (CEI) montrent que le groupe des 18-29 ans est le bloc électoral qui s’inscrit le moins pour les élections, avec seulement 44,6% de ce groupe qui s’est inscrit pour voter. Le faible taux d’inscription des jeunes, qui contraste avec leur participation politique quotidienne, peut s’expliquer de plusieurs manières, la première étant une perte de confiance envers les acteurs politiques et les institutions démocratiques du pays. Une enquête d’Afrobarometer publiée en mars dernier montre que 70% des Sud-Africains sont insatisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays, tandis que 83% d’entre eux estiment que le pays va dans la mauvaise direction. Ce scénario n’est pas propre à l’Afrique du Sud, puisque la Namibie et le Zimbabwe voisins enregistrent des taux d’insatisfaction de 76% et 72% respectivement. Néanmoins, les coupures d’électricité dans tout le pays, les pénuries d’eau à Gauteng, l’effet du COVID-19 sur l’économie et les divers scandales de corruption ont alimenté la colère de la population à l’égard de l’élite dirigeante. Cela a conduit à la montée en puissance de l’EFF, qui a fait de la lutte contre ces problèmes son credo. Un autre facteur qui pourrait entraîner une nouvelle baisse de la participation, de 77% en 2009 à 66% en 2019, est la restriction de mobilité imposée aux électeurs. Cette année, les électeurs ne peuvent voter que dans le bureau de vote/district où ils sont inscrits, alors qu’auparavant les électeurs inscrits pouvaient voter partout dans la province, à condition de remplir les formulaires requis. Naviguer en terre inconnue Cette élection fera entrer l’Afrique du Sud dans un nouveau contexte politique, l’ANC risquant de perdre son statut de parti dominant. Même s’il parvenait à obtenir au moins 50 % des voix au niveau national, il risque néanmoins de perdre le contrôle de la province de Gauteng, le cœur économique du pays, et pourrait subir de nouvelles pertes lors des élections municipales de 2026. Le système électoral sud-africain est un système de représentation proportionnelle à liste fermée. Alors que les grands partis d’opposition rivalisent pour rejoindre un gouvernement de coalition dirigé par l’ANC, le système électoral sud-africain de représentation proportionnelle à liste fermée permet aux petits partis d’être représentés dans les institutions. L’ANC pourrait ainsi constituer un gouvernement composé de partis plus petits et moins influents plutôt que de choisir de travailler avec ses rivaux immédiats. Une coalition dirigée par l’ANC et composée de petits partis permettrait à Ramaphosa de poursuivre le programme de réformes progressives qu’il a entamé lors de son premier mandat, tout en garantissant une approche équilibrée en ce qui concerne l’adoption de positions politiques favorables au marché et orientées vers la gauche. Une coalition ANC-DA verrait la mise en œuvre d’initiatives plus favorables aux entreprises, notamment pour améliorer la production d’électricité et les marchés publics. La restructuration des principales entreprises publiques, notamment Eskom et Transnet et la promotion des petites et moyennes entreprises seraient également poursuivies. Une coalition ANC-EFF pourrait voir l’adoption de politiques soutenues par l’EFF, telles que l’augmentation de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation du salaire minimum, l’accélération de l’expropriation des terres et l’augmentation de l’implication de l’État dans les composantes stratégiques de l’économie. L’ampleur de la mise en œuvre de ces politiques dépendrait de la part de voix de l’EFF et de l’attribution éventuelle de portefeuilles ministériels au sein du pôle économique. Un paysage politique d’opposition en évolution et de nouvelles règles électorales Les principaux partis d’opposition sud-africains conserveront probablement une place prépondérante, mais les partis émergents pourraient perturber les tendances de vote. Le système électoral est conçu pour favoriser le système de partis, mais projet de loi d’amendement électoral de 2022 signé par le président Cyril Ramaphosa permet désormais aux candidats indépendants de devenir potentiellement des acteurs politiques influents. L’EFF est en capacité d’améliorer son score de 10,8 % obtenu lors de l’élection de 2019. Les politiques de gauche radicale du parti ont gagné en attrait parmi les électeurs noirs urbains et de la classe moyenne, ainsi que parmi les jeunes, et une amélioration significative est attendue dans les provinces de Gauteng et du Limpopo. Le plus grand parti d’opposition actuel, le DA - un parti principalement soutenu par la minorité de couleur et la population blanche -, est confronté à un mécontentement croissant parmi les électeurs de couleur ainsi que parmi les jeunes électeurs blancs et les électeurs noirs de la classe moyenne. De plus petits partis d’opposition, tels que ActionSA, BOSA, GOOD, Rise Mzansi (tous dirigés par d’anciens membres du DA) et l’Alliance patriotique (PA) populiste, tirent parti de ce scénario et se disputent les voix dans la province du Cap-Occidental, le bastion politique du DA. En conséquence, le DA a principalement fait campagne dans la province du Cap-Occidental afin d’en conserver le contrôle, ce qui pourrait entraîner une perte de voix au niveau national. Le parti a également fait part de sa volonté de rejoindre une coalition dirigée par l’ANC, tournant ainsi le dos à la charte multipartite, une coalition d’opposition créée en juin 2023. Le projet de loi d’amendement électoral de 2022 étend la participation électorale et élargit le choix des dirigeants pour l’Assemblée nationale et les assemblées législatives provinciales, avec la possibilité pour les candidats indépendants de se présenter. Ce changement permettra à de nouveaux candidats anti-système de concourir et de rassembler autour de leur personne et de leur influence dans quelques circonscriptions. Néanmoins, à ce stade, le rôle des indépendants se jouera principalement dans les provinces, car aucun candidat indépendant ne dispose d’une base et d’un attrait suffisants pour recueillir assez de voix pour obtenir un siège à l’Assemblée nationale.