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Présidence de l'Afrique du Sud au G20 : un cadeau empoisonné ou une opportunité pour sa diplomatie ?

12 mars 2025

Analyse

La présidence sud-africaine du G20 – placée sous le signe de la « solidarité, de l’égalité et du développement durable » – entend s’imposer comme une voix crédible du Sud global. Cependant, ses ambitions sont ternies par des tensions bilatérales avec les États-Unis, et un contexte géopolitique de plus en plus défavorable au multilatéralisme. Les efforts du président Cyril Ramaphosa pour promouvoir des réformes structurelles à l’échelle mondiale devront se heurter à de nombreux obstacles, notamment la concurrence entre priorités internationales, la réduction de l’aide, les négociations sur la dette avec les créanciers privés, et la difficulté à mobiliser des financements essentiels pour le climat.

À propos

Léonard Mbulle-Nziege est Consultant Senior en Intelligence Économique chez Concerto, basé à Cape Town. Il conseille les entreprises sur les risques politiques, la due diligence et l’analyse électorale en Afrique. Contactez Léonard à lnm@concerto-pr.com pour en savoir plus.
QUICK INSIGHTS
  • L'Afrique du Sud entend tirer parti de ses solides liens avec les autres membres du G20 pour compenser les effets de ses tensions avec les États-Unis.
  • L’agenda du G20 du président Ramaphosa, axé sur l’Afrique, reflète l’ambition du pays de s'affirmer en tant que principal défenseur des intérêts du continent.
  • Malgré l'agenda ambitieux du G20 cette année, les priorités géopolitiques et politiques internes changeantes en Amérique du Nord, en Europe et en Asie représentent un défi majeur pour les objectifs de Ramaphosa.

Les conséquences diplomatiques avec les États-Unis pèsent lourdement sur la présidence sud-africaine du G20

Le dernier jour des négociations, un nouvel objectif de financement de la lutte contre le changement climatique a été fixé à 300 milliards d'USD, soit un triplement de l'objectif précédent, mais bien en deçà des demandes des pays en développement. Avant la COP29, le groupe des négociateurs africains (AGN) avait fixé un objectif annuel de 1,3 milliard d'USD pour le financement de la lutte contre le changement climatique. Ce financement inclura 120 milliards USD par an destinés aux pays à revenu faible et intermédiaire, mobilisés par un consortium d'institutions financières multilatérales sous la direction de la Banque mondiale. Le prêteur a indiqué que 65 milliards d'USD supplémentaires seraient mobilisés auprès du secteur privé, tandis que la Norvège s'est également engagée à verser 740 millions d'USD pour des projets liés aux énergies renouvelables et à la réduction des subventions aux combustibles fossiles dans les pays en développement. De son côté, le Sénégal a annoncé qu'il allouerait 2,6 milliards d'USD à son plan de transition vers l'énergie verte, grâce à un financement fourni par l'Agence française de développement. Le président d'AGN, Ali Mohamed, a critiqué la façon dont les négociations se sont déroulées, soulignant le manque d'engagement et de leadership de la part des pays développés. « L'Afrique quitte Bakou avec réalisme et résignation car les progrès de la COP29 sont loin d'être à la hauteur des espérances. Quand l'Afrique perd, le monde perd », a-t-il résumé après la publication du projet final. Il a également critiqué la dépendance à l'égard des prêts concessionnels pour le financement de la lutte contre le changement climatique, qui augmente la dette nationale des pays bénéficiaires.  

L'Afrique du Sud renforcera sa collaboration avec les membres du G20 pour atténuer l'impact des tensions avec les États-Unis et promouvoir son agenda axé sur l'Afrique.

Malgré la position des États-Unis, le président Ramaphosa cherchera à obtenir un soutien large pour son plan d’action, qu'ont approuvé les membres du G20 – à l'exception des États-Unis. Pretoria consultera également l'Inde, l'Indonésie et le Brésil, qui ont navigué dans des complexités géopolitiques lors de leurs présidences respectives du G20. La priorité du président Ramaphosa sera de faire pression pour une restructuration et un allègement de la dette, à un moment critique pour l'économie du continent : selon la CNUCED, les niveaux de la dette publique en Afrique ont augmenté de 183 % depuis 2010. Au début de 2025, neuf pays africains sont confrontés à des situations de dette difficile, avec le Tchad, l'Éthiopie, le Ghana et la Zambie ayant fait défaut sur leurs paiements au cours des cinq dernières années. Par ailleurs, 18 autres pays courent un risque élevé de crise de la dette. Dans le cadre de sa présidence, l'Afrique du Sud vise à s'appuyer sur les initiatives existantes du G20 et du Club de Paris pour soutenir les pays vulnérables à la dette. Le président Ramaphosa souhaite également mobiliser davantage de financements climatiques pour les pays en développement, en particulier des financements concessionnels et des subventions. L'Afrique a besoin de 56 milliards USD par an pour le financement de l'adaptation au climat. Avec le retrait des États-Unis du financement climatique – et les membres européens du G20 confrontés à des défis économiques et politiques structurels internes – Ramaphosa fait face à de grands défis pour combler le manque de financement climatique du continent. La promotion du traitement local des minéraux critiques sur le continent représente un autre pilier clé de l'agenda climatique du G20 cette année. Bien que le G20 cherche à mobiliser un plus grand soutien du secteur privé pour développer les infrastructures de traitement sur le continent, plusieurs barrières structurelles subsistent. Parmi elles, les lacunes en matière d'infrastructures énergétiques et de transport qui freinent le développement des activités de transformation à valeur ajoutée. Le rôle dominant de la Chine dans tous les segments de la chaîne d'approvisionnement des minéraux critiques – y compris le traitement – signifie qu'elle défendra probablement son avantage concurrentiel.  

Les priorités domestiques éclipsent les priorités de l'Afrique du Sud pour le G20

Malgré un large soutien à la présidence sud-africaine du G20, des questions domestiques urgentes ont contraint les ministres des Finances du Brésil, du Canada, de l'Inde et du Japon à manquer les débats du G20 en février. La réduction drastique de l’aide internationale annoncée par les États-Unis devrait également entraver les priorités politiques du G20 de l'Afrique du Sud. Bien que moins médiatiques, les coupes récentes annoncées par le Royaume-Uni, la Commission européenne, la France, l'Allemagne et la Suède représentent des obstacles supplémentaires pour l'agenda de Ramaphosa. Le retrait attendu des États-Unis de l'Accord de Paris constitue une menace supplémentaire. Enfin, la composition de la dette de l'Afrique constitue un obstacle majeur aux appels de Ramaphosa pour un allègement urgent de la dette : les créanciers privés représentent la plus grande proportion de la dette extérieure, soit 43 %. Obtenir des concessions de la part des détenteurs d'Euro-obligations concernant la restructuration ou les initiatives d'allègement de la dette sera un processus long et difficile, comme ça a été le cas pour le Ghana et la Zambie.