QUICK INSIGHTS
- L'engagement des États-Unis en Afrique devrait être marqué par une certaine continuité, la course aux minerais essentiels demeurant une priorité stratégique.
- Malgré le soutien bipartisan dont bénéficie la loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA), les conditions de son renouvellement restent incertaines en cas de présidence républicaine.
- Les pays africains élargissent progressivement leurs partenariats diplomatiques, commerciaux et sécuritaires, se rapprochant des puissances émergentes et intermédiaires, ce qui impacte considérablement l'influence des États-Unis sur le continent.
La politique américaine en Afrique : entre engagement stratégique et recul d’influence
Sous le mandat de Trump, la politique africaine a été relativement limitée. Son administration s'est surtout concentrée sur la lutte contre l'influence de la Russie et de la Chine en Afrique, ainsi que sur le terrorisme dans les régions du Sahel, de la Corne de l’Afrique et des Grands Lacs. Sur le plan commercial, des discussions ont été entamées en 2020 avec le Kenya en vue d'établir un accord de libre-échange. De plus, le programme Prosper Africa, lancé en 2019 pour encourager le commerce et l'investissement dans les deux sens et bénéficiant d’un soutien bipartisan, aura facilité 1 695 transactions totalisant 63,5 milliards de dollars à travers 41 pays africains d'ici la fin de 2024. L'administration Trump a également maintenu une aide annuelle de 7 milliards de dollars entre 2017 et 2020, un montant comparable à celui fourni par l'administration Obama-Biden.
Bien que l'Afrique n'ait pas historiquement occupé de place centrale dans la politique étrangère américaine, le président Joe Biden a initié le plus grand engagement diplomatique avec le continent depuis 30 ans. En 2023, plusieurs visites de haut niveau ont été effectuées par la vice-présidente Kamala Harris, la première dame Jill Biden, et la présidente de la Réserve fédérale Janet Yellen. Plus récemment, en janvier 2024, le secrétaire d’État Antony Blinken s’est rendu au Cap-Vert, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et en Angola pour promouvoir le programme de partenariat États-Unis-Afrique, qui vise à renforcer le commerce et l’investissement tout en soutenant des politiques sociales. En décembre, le président Biden est également attendu en Angola, marquant la première visite d’un président américain en Afrique depuis 2015.
La tenue du sommet États-Unis-Afrique en décembre 2022, le second depuis 2014, a servi de modèle pour la création du Conseil consultatif présidentiel pour l'engagement de la diaspora africaine. Biden a également soutenu l'adhésion de l'Union africaine au G20 en 2023 et a plaidé pour la nomination de deux pays africains comme membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, bien que sans droit de veto. Malgré ces avancées, des reculs notables sont survenus, notamment une série de coups d'État militaires au Tchad, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Ces événements ont conduit à l'expulsion des troupes américaines du Tchad et du Niger en 2024, bouleversant les engagements sécuritaires des États-Unis au Sahel et ouvrant la voie à la Russie et aux mercenaires liés à celle-ci pour combler le vide sécuritaire.
Perspectives pour l’Afrique : un impact limité des élections américaines
En raison des niveaux d'engagement contrastés entre les deux administrations, des inquiétudes subsistent quant à l'avenir en cas de changement de régime. Une victoire de Trump entraînerait des conséquences diplomatiques immédiates. En général, un changement d'administration entraîne la démission des ambassadeurs américains nommés politiquement, ce qui pourrait provoquer un renouvellement plus important si Trump remportait l'élection. De plus, le délai nécessaire pour nommer de nouveaux ambassadeurs pourrait freiner l'évolution des relations bilatérales avec les pays concernés à court terme.
Bien que l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui offre aux pays africains éligibles un accès sans tarif douanier aux marchés américains, bénéficie d'un soutien bipartite, les conditions de son renouvellement en 2025 restent incertaines sous une éventuelle présidence Trump. Trump pourrait privilégier des accords bilatéraux, notamment avec des économies majeures telles que l'Angola, la Côte d'Ivoire, l'Égypte, le Kenya, le Maroc, le Nigeria et l'Afrique du Sud. Si l'AGOA est renouvelé sous Trump, les critères d'éligibilité pourraient être renforcés, limitant ainsi le nombre de pays bénéficiaires.
Une présidence de Harris assurerait la continuité de l'AGOA et établirait des synergies plus étroites entre ce cadre et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Davantage de projets pourraient être lancés dans le cadre du Partenariat pour les infrastructures mondiales et les investissements (PGII), en particulier en lien avec la transition énergétique juste. Un soutien serait également apporté aux institutions de santé publique comme les CDC Afrique, ainsi qu’aux organisations de la société civile œuvrant pour la démocratie, les droits humains et la promotion de la gouvernance.
Assurer la sécurité des chaînes d'approvisionnement en minerais stratégiques, actuellement dominées par la Chine, est un objectif géopolitique essentiel pour les États-Unis, peu importe l’administration. Cela inclut un soutien constant au corridor de Lobito, un projet ferroviaire qui, avec l’appui américain, traverse l'Angola, la République démocratique du Congo et la Zambie, offrant ainsi aux États-Unis et aux partenaires occidentaux un accès aux ressources telles que le cobalt, le cuivre et le lithium. Ce projet s'inscrit dans le cadre du Mineral Security Partnership, une alliance dirigée par les États-Unis et regroupant 14 pays, créée en 2022 pour sécuriser l'approvisionnement minier et financer les infrastructures.
Sur le plan sécuritaire, les États-Unis chercheront à établir de nouveaux partenariats avec les États côtiers du golfe de Guinée, notamment le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Gabon, tout en tentant de renouer le dialogue avec les gouvernements militaires au Sahel. En cas de victoire de Trump, les États-Unis pourraient surveiller la Corne de l'Afrique en s'engageant auprès du Somaliland, un État autoproclamé ayant des liens avec des alliés américains tels que l'Éthiopie et les Émirats arabes unis. Toutefois, cela risquerait de susciter des tensions dans la région, la Turquie (alliée de l’OTAN) ayant promis de défendre la souveraineté de la Somalie, tandis que l'Égypte, l'Érythrée, l'Arabie saoudite et l'Union africaine s'opposeraient à une telle initiative.
Les États-Unis rivaliseront avec une multitude de pays pour exercer leur influence en Afrique
Quelle que soit la politique adoptée par les États-Unis envers l'Afrique, les pays africains continueront d'étendre leurs partenariats diplomatiques, commerciaux et sécuritaires en se rapprochant d'autres puissances émergentes et intermédiaires. En plus de la Chine, de la Russie et de la Turquie, déjà bien présentes sur le continent, des nations comme l'Inde, l'Iran, l'Arabie saoudite, le Qatar, et les Émirats arabes unis, ainsi que des partenaires occidentaux comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, disposent d'opportunités croissantes pour renforcer leur influence en Afrique.
Ainsi, même si une continuité de la politique américaine est attendue sous une administration Harris ou Trump, celle-ci devra concevoir des initiatives qui rendent les États-Unis plus attractifs face à la concurrence internationale, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’exploitation des minerais essentiels.