À propos
Francis Perrin est chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat) et directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris). Il collabore à l’hebdomadaire spécialisé Petrostratégies et au rapport annuel Cyclope sur les matières premières (Editions Economica).
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EXPERT VIEW
Question 1 : Quel est l’impact du conflit Hamas-Israël sur le cours du marché de l’énergie, en particulier du pétrole ?
La guerre entre Israël et le Hamas a eu un impact haussier sur les prix des hydrocarbures mais cela a duré environ deux semaines. La hausse des prix, qui est restée assez modeste avec +10-12% environ, était liée aux craintes d'une extension du conflit dans une région, le Moyen-Orient, qui contrôle près de 50% des réserves prouvées de pétrole et 40% des réserves prouvées de gaz naturel. Les traders ont cependant assez rapidement été convaincus, à tort ou à raison, que ces risques étaient limités compte tenu des actions militaires dissuasives des Etats-Unis et des efforts diplomatiques en cours. De plus, les inquiétudes sur l'économie mondiale, notamment la Chine et l'Allemagne, ont aussi contribué à faire baisser les cours du brut. Les prix du pétrole sont aujourd'hui retombés à des niveaux plus bas qu’avant le 7 octobre.
On a observé des évolutions similaires pour les prix du gaz avec, cependant, une différence : l'augmentation des prix dans les deux semaines qui ont suivi le 7 octobre a été beaucoup plus forte (plus de 30%). En effet, Israël est producteur et exportateur de gaz alors que ce pays ne produit pas de pétrole. D'autres facteurs ont aussi contribué à faire monter les prix du gaz,notamment l’attaque contre un gazoduc en mer Baltique et des menaces de grève dans l'industrie du GNL en Australie. Les prix ont ensuite fortement baissé mais, deuxième différence avec les prix du pétrole, ils restent aujourd'hui un peu supérieurs à leur niveau d'avant le 7 octobre.
Si la guerre demeure un conflit entre Israël et le Hamas, il n'y a pas de raison pour que les prix du pétrole et du gaz repartent fortement à la hausse. Par contre, une éventuelle extension de la guerre, notamment incluant l'Iran, serait évidemment susceptible de changer la donne. Jusqu'à présent, ce n'est pas le cas mais il n'est pas possible d'écarter complètement des scénarios d'extension.
Question 2 : Dans ce contexte géopolitique, quels sont les rapports de force à l'œuvre au sein de l’OPEP+ ?
L’OPEP+ regroupe 23 pays, dont les 13 pays membres de l'OPEP et dix pays non-OPEP, dont la Russie. Il y a beaucoup de divergences entre ces pays mais ils ont un point commun très important : tous sont dépendants du pétrole et sont donc prêts à coopérer pour impacter le marché pétrolier et les prix du brut. Depuis le printemps 2020, les pays de l'OPEP+ ont le plus souvent réussi à se mettre d'accord.
Les décisions y sont prises par consensus, ce qui n'est pas simple avec 23 Etats, mais l'étape clé consiste à faire en sorte que les deux poids lourds,la Russie et l’Arabie Saoudite (respectivement les deuxième et troisième producteurs de pétrole mondiaux après les USA), soient d'accord. Sans cela, aucune décision n'est possible. Depuis environ trois ans, ces deux pays sont assez bien alignés, ce qui facilite le processus de prise de décision au sein de l'alliance. Pour la grande majorité des pays OPEP+, un prix du pétrole supérieur à $80 par baril est un objectif hautement souhaitable, ce qui a conduit la coalition (ou certaines de ces composantes) à réduire sa production à quelques reprises depuis l'automne 2022. Vendredi 18 novembre en fin de journée, le prix du Brent de la mer du Nord pour le contrat de janvier 2024 coté à Londres était un peu supérieur à $80/b. Il est donc peu probable que l'alliance décide prochainement d'augmenter sa production.
Question 3 : A quelques jours de la COP 28, et alors que plusieurs grands pays producteurs d’hydrocarbures ont entamé des plans massifs d’investissements en faveur de la transition énergétique (Arabie Saoudite, UAE), quelles sont les perspectives pour l’organisation ?
Pour les producteurs de pétrole, et plus généralement ceux d'énergies fossiles, les négociations climatiques internationales à travers les COP représentent un enjeu important. L'OPEP suit de près ces négociations et entend défendre la place du pétrole dans le système énergétique mondial. Les pays non-OPEP de l'OPEP+ sont sur la même ligne. Ces pays sont très souvent aussi des pays gaziers et soulignent également que le gaz naturel, la plus ''propre'' ou la moins ''sale'' des énergies fossiles du point de vue climatique, doit jouer un rôle important dans la transition énergétique. Le Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG - GECF en anglais) soutient également ce point de vue pour le gaz.
Certes, plusieurs pays de l'OPEP+ ont entamé une transition énergétique. Le plus avancé est d'ailleurs les Emirats Arabes Unis, qui est sur le point d'accueillir la COP 28. Mais ces Etats n'entendent pas abandonner les hydrocarbures, bien au contraire. La transition énergétique consiste pour eux à réduire le contenu carbone des énergies fossiles, à accroître l'efficacité énergétique, à encourager le développement d'énergies non carbonées et à investir fortement dans le captage et le stockage du carbone ainsi que dans l'hydrogène et l'ammoniac. Il n'y a donc pas de contradiction dans cette vision entre l'importance d'entités telles que l'OPEP et l'OPEP+ et la transition énergétique. De plus, la demande pétrolière continue à augmenter. La consommation pétrolière va battre tous les records en 2023 avec 102 millions de barils par jour environ (plus de 5 milliards de tonnes par an) et elle augmentera encore en 2024. Dans le court et le moyen termes, la poursuite de la hausse est une certitude. Dans le long terme, c'est moins clair. L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) estime que la demande pétrolière mondiale devrait atteindre un plafond un peu avant 2030 alors que l'OPEP pense qu'elle continuera à croître jusqu'en 2045. Dans l'un ou l'autre cas, le pétrole restera une source d'énergie très importante pendant longtemps. L'OPEP et l'OPEP+ ont donc encore de beaux jours devant elles.