Répercussions du conflit Russie-Ukraine sur l'Afrique : entre risques et opportunités
1 mars 2022
Analyse
Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie entraîne des conséquences humaines, économiques et diplomatiques majeures, ses répercussions sur l’Afrique commencent à se dessiner. Voici cinq dynamiques clés qui les éclairent.
Pressions inflationnistes
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a eu pour effet immédiat le bond des prix du pétrole au-dessus de 100 USD/baril. Face aux potentielles perturbations des chaînes d'approvisionnement, les prix du pétrole devraient continuer à augmenter. En Afrique comme ailleurs, les importateurs d'énergie seront soumis à une forte pression inflationniste avec des répercussions sur les caisses des États et le moral des consommateurs. Certains pays comme le Nigeria chercheront à atténuer l’impact en maintenant les subventions sur les carburants. Cette hausse des prix du pétrole se conjugue à une hausse des cours des céréales et à une pression déjà importante sur les monnaies africaines alors que le dollar se rapproche de son plus haut niveau depuis deux ans. Jeudi 24 février, le rand sud-africain s'échangeait à 15,28 contre le dollar, soit environ 0,9 % de plus que son niveau de clôture des jours précédents. Le naira nigérian, le cedi ghanéen et le kwacha zambien subiront le même sort. La flambée des prix viendra ainsi s'ajouter aux pressions inflationnistes déjà élevées en Afrique, où 12 pays enregistrent actuellement une inflation à deux chiffres.
Quel impact sur les denrées alimentaires ?
Les perturbations sur les livraisons de denrées alimentaires en provenance de Russie et d'Ukraine, qui fournissent à eux deux 30% du blé consommé en Afrique, aura un impact direct sur les économies africaines. L'Afrique du Nord est fortement dépendante des importations de céréales en provenance d'Ukraine et de Russie. L’Égypte importe 85% de sa consommation en céréales à la Russie et les 15% restants à l’Ukraine. Le Kenya, le Soudan, le Nigeria, la Tanzanie, l'Algérie et l'Afrique du Sud importent aussi une part importante (10 à 40%) de leur approvisionnement alimentaire de Russie. Certains de ces pays sont déjà confrontés à une insécurité alimentaire due à la forte hausse des prix des denrées, à la faiblesse des précipitations et à la sécheresse. Avec les perturbations probables de la saison des semis, l'impact sur les approvisionnements pourrait se faire sentir tout au long de l'année 2022. Certains s’inquiètent d’un scénario « Printemps arabe » au cours duquel la pénurie alimentaire et le coût élevé des aliments avaient en partie initié les troubles sociaux. Ces pénuries vont amener les États africains à diversifier leurs fournisseurs en blé, une stratégie déjà empruntée par le Maroc, la Tunisie et l’Éthiopie, à l’avantage de l’Australie, 4e exportateur mondial de blé, qui cherche à gagner des parts de marché en Afrique du Nord. Un scénario positif pourrait voir ces pays africains saisir cette opportunité pour accélérer les réformes et investissements pour atteindre l’autosuffisance alimentaire.
La guerre rebat les cartes diplomatiques
Alors que ces dernières années ont été marquées par un expansionnisme politique et militaire russe en Afrique, le conflit pourrait bouleverser les relations multilatérales et bilatérales. Le scénario d’une nouvelle “guerre froide”, dans laquelle l'Afrique serait considérée comme un vecteur d’influence pour chaque bloc, reste incertain. S’il est maintenu, le sommet Russie-Afrique, prévu pour novembre prochain sera un indicateur intéressant de l’état des relations. Le Gabon, le Ghana, le Kenya et l’Afrique du Sud ont été les premiers pays africains à avoir officiellement condamné l'invasion de l'Ukraine par la Russie, sans toutefois annoncer de sanctions. Dans une déclaration publiée le 24 février, l'Union africaine a appelé les deux pays à "instaurer un cessez-le-feu immédiat et à ouvrir des négociations politiques sans délai". Les gouvernements de l'Égypte, de l'Algérie, du Mali, du Nigeria, de la Namibie et de la Somalie ont réagi au conflit, mais se sont abstenus de condamner la Russie. En Libye, au Mali, en République centrafricaine et au Soudan, un départ partiel du groupe paramilitaire russe Wagner est envisageable alors que certains auraient déjà été dépêchés à Kiev pour soutenir l’armée russe. L’Éthiopie, le Nigeria et le Mali, qui ont récemment signé des accords pour renforcer leur coopération militaire avec la Russie, subiront certainement des pressions diplomatiques visant à annuler ces accords.
Gaz et mines : des opportunités pour le continent ?
L'incertitude quant à la durée du conflit, ses retombées et son issue, alimentera la volatilité des marchés et va affecter l’appétit pour le risque des investisseurs. La hausse du cours de l’or de 3% la semaine dernière indique déjà un regain d’intérêt pour les valeurs refuges. À moyen terme, les tensions géopolitiques pourraient stimuler l'intérêt pour le gaz naturel en Afrique, en raison de la volonté de l'Europe de sécuriser son approvisionnement énergétique, dont 40 % est actuellement assuré par la Russie. L’Algérie, qui fournit 11% des besoins en gaz de l’Europe, a déjà proposé d’acheminer 10 milliards de mètres cubes supplémentaires en augmentant sa production. La Commission Européenne a commencé à faire évoluer sa position sur l’exploitation du gaz naturel africain lors du dernier sommet Europe-Afrique, désormais considéré comme une ressource essentielle à la transition climatique. Plusieurs importants projets de gaz naturel liquéfié financés par des majors européennes sont en cours au Mozambique, au Sénégal et en Mauritanie. L’exploitation de nouveaux gisements et la construction de gazoducs devraient s’accélérer. L’Égypte, le Maroc, le Nigeria et la Tanzanie sont particulièrement bien placés pour en récolter les fruits grâce à leurs réserves de gaz.
Côté minier, on assiste déjà à une envolée des cours de la bauxite et de l’aluminium, une hausse dont la Guinée pourrait profiter. Le cuivre, le nickel, le palladium, parmi d’autres, devraient aussi suivre une tendance haussière en raison des vastes réserves détenues par les Russes. Les opérations minières sur le continent pourraient être ralenties, voire suspendues à cause des sanctions imposées à la Russie. Pour la Guinée, l’Angola, la Zambie ou le Zimbabwe, où les plus grandes entreprises minières russes sont présentes, le manque à gagner en devises étrangères risque d’être important, au moins temporairement.
(Dés)information : une bataille qui va s’accélérer
Déjà très active dans les médias et réseaux sociaux du continent, la Russie va chercher à étendre sa sphère d'influence. Au Mali et au Tchad, des manifestations pro-russes ont déjà eu lieu ces derniers jours. Si la tension en Europe s'accroît, les tentatives d'influencer les internautes africains vont se multiplier. Elles viseront notamment des personnalités politiques et des institutions étatiques, mais aussi des entreprises étrangères et des organisations de la société civile. Les campagnes de (dés)information s’inscrivent dans une lutte d’influence opposant les grandes puissances mondiales. À l'œuvre depuis plusieurs années au Mali, au Soudan et en République centrafricaine, les campagnes russes sont caractérisées par la diffusion de récits pro-Kremlin et anti-occidentaux, en particulier anti-français, et soutiennent notamment l’action du groupe Wagner. Lors des récentes élections au Zimbabwe et au Mozambique où la Russie est accusée d'ingérence, les campagnes de désinformation et de propagande ont été un pilier de la stratégie russe. Le conflit russo-ukrainien va renforcer ces luttes d’influence et pousser chaque acteur à mettre à profit leur arsenal médiatique et cyber pour remporter la bataille de l’information. Pour se défendre contre ces opérations de désinformation, les entreprises et les gouvernements devront redoubler d’efforts pour protéger leur réputation et accroître leur présence dans l’espace médiatique.
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